Pakistan · 2 mars 2021 · 6 min
Par Lindsay Mossman, consultante senior en matière d’égalité des genres à la Fondation Aga Khan Canada
Le terme « pandémie » nous vient du grec pandēmos, qui signifie tous (pan) les peuples (dēmos). Même si, d’une manière ou d’une autre, la COVID-19 a bien eu un impact sur l’ensemble des habitants de la planète, nous n’avons pas tous ressenti les mêmes effets.
Notre âge, notre lieu de résidence, notre race, notre origine ethnique et notre statut socioéconomique sont autant de facteurs qui influencent la façon dont notre monde a changé depuis la pandémie. Le genre, lui, ne fait pas exception à la règle.
Tout d’abord, prenons les indicateurs de base (et les plus évidents) du virus : selon les premières données, les femmes représentent un peu plus de la moitié des cas de COVID-19 dans le monde, alors que les hommes sont plus à risque de mourir s’ils contractent le virus.
Toutefois, la pandémie touche les femmes et les filles d’autres manières, moins évidentes à première vue. En ma qualité de consultante en matière d’égalité des genres pour la Fondation Aga Khan (AKF), je constate ce phénomène tous les jours.
Nos programmes investissent en vue de contribuer à plusieurs Objectifs de développement durable (ODD) et d’ainsi mettre en lumière les éléments fondamentaux d’une vie saine et prospère : les soins de santé, l’éducation, un accès durable à la nourriture, les perspectives économiques et le développement de la petite enfance. Avec mes collègues d’Afrique et d’Asie, nous veillons à ce que tous ces programmes fassent également progresser l’égalité des genres, l’objectif 5 des ODD.
Bien que la COVID-19 ait des effets dévastateurs tout autour du globe, son impact devrait être particulièrement grave dans les pays en développement où l’AKF travaille. C’est la raison pour laquelle la Fondation a adapté ses programmes afin d’anticiper les enjeux à venir.
Voici quelques domaines qu’il est essentiel de prendre en compte si l’on souhaite mettre en œuvre une réponse efficace et équitable face à la pandémie de COVID-19 :
La « pandémie fantôme »
Mettre en place des mesures de confinement est une étape nécessaire pour ralentir la propagation de la COVID-19, mais cela peut en parallèle accélérer la progression d’une « pandémie fantôme » de violence domestique.
À l’échelle mondiale, on estime qu’un tiers des femmes et des filles ont subi des violences physiques et/ou sexuelles à un moment ou à un autre de leur vie, souvent commises par une personne de leur cercle intime. L’isolement et le stress supplémentaire qu’entraîne la pandémie de COVID-19 exacerbent cette violence au sein même du foyer. Depuis le début du confinement en mars, une augmentation des cas de violence domestique a été constatée dans plusieurs pays autour du monde, alors qu’il est plus risqué que jamais pour les victimes de chercher de l’aide. Dans ce contexte, il leur est en effet encore plus difficile qu’avant de s’isoler pour appeler une ligne d’urgence ou de quitter leur foyer pour aller chercher de l’aide dans un refuge.
Ilda Santos is an instructor at the nursing school in Pemba, Mozambique. She teaches a range of topics, including classes on women’s and children’s health.
AKDN / Rich Townsend
Pour répondre à ce problème, les programmes de la Fondation soutiennent les professionnels de la santé qui travaillent en première ligne non seulement en leur fournissant des équipements de protection individuelle (EPI) et des fournitures médicales, mais également en leur apprenant à reconnaître les signes de violence sexuelle et sexiste et à prendre en charge les cas détectés à l’aide d’une approche axée sur les survivantes. Ces programmes soutiennent également les ressources destinées aux femmes en situation de détresse. Par exemple, au Mozambique, la Fondation travaille avec des organisations d’aide psychologique et d’accompagnement juridique afin de mettre en place une ligne d’assistance téléphonique pour les femmes qui ont besoin d’aide.
Voici quelques suggestions pour que vous aussi puissiez passer à l’action :
Soins à domicile et au travail
Qu’il s’agisse d’agents de santé travaillant en première ligne, d’enfants qui suivent leurs cours à domicile toute la journée ou de maisons de retraite qui luttent pour contenir le virus, la COVID-19 a mis les soins sous le feu des projecteurs.
Les femmes représentent 70 % du personnel de santé mondial et travaillent principalement en première ligne en tant qu’infirmières. Elles sont donc plus exposées au virus et au risque de contracter l’infection.
Mais ces dernières travaillent également comme soignantes dans le secteur informel, par exemple en prodiguant des soins à domicile aux personnes âgées. Dans ce secteur, les emplois, qui sont occupés en grande majorité par des femmes même en dehors du travail de soin, n’offrent pas les mêmes garanties de sécurité et de protection (telles que l’assurance maladie ou les congés maladie payés), ce qui entraîne également une augmentation des risques pour ces travailleuses.
Tout autour du globe, pour chaque heure consacrée par les hommes, les femmes consacrent en moyenne de 2 à 10 heures pour assurer un travail de soin non rémunéré. En greffant à cela la fermeture des écoles et des crèches, la charge des soins et des tâches domestiques devient encore plus lourde pour les femmes, même dans les ménages sains.
Désormais, il est devenu amusant d’entendre des enfants s’entraîner au piano en arrière-plan d’une conférence téléphonique ou de les voir jeter un regard curieux dans le champ de la webcam lors d’une visioconférence. Ces moments offrent une parenthèse bienvenue dans de nombreux espaces de travail virtuels. Toutefois, le manque de services de garde d’enfants entraîne une importante pression sur les femmes qui continuent de travailler. Cette situation est particulièrement épineuse pour celles qui ne peuvent pas travailler depuis leur domicile et qui doivent, parfois, réduire leurs heures de travail, voire quitter leur emploi, pour s’occuper de leurs enfants.
Pour relever ce défi, les programmes de l’AKF veillent à ce que les femmes qui travaillent dans le secteur des soins, notamment les agentes de première ligne comme les bénévoles de santé communautaire, aient accès à des EPI et à d’autres fournitures pour assurer leur sécurité, mais aussi qu’elles bénéficient d’une aide pour la garde et le transport de leurs enfants.
La Fondation aide également les entrepreneuses à adapter leurs entreprises pour continuer de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles durant la pandémie. Par exemple, en Afghanistan, des femmes à la tête d’une entreprise de couture ont commencé à fabriquer et à vendre des masques.
Voici quelques suggestions pour que vous aussi puissiez passer à l’action :
Le leadership au féminin
Tout autour du monde, les femmes sont des membres actifs de leurs communautés. Toutefois, dans les plus hautes sphères politiques et décisionnelles, leur voix demeure étonnamment absente. Alors que les femmes constituent la majorité du personnel de santé mondial, et notamment des agents travaillant en première ligne, elles sont sous-représentées dans les équipes de direction et de gestion. En Italie et dans d’autres pays, les femmes qui travaillent dans le secteur de la santé ont dénoncé leur manque d’implication dans les processus décisionnels concernant les actions prises pour faire face à la pandémie de COVID-19.
Lorsque les femmes n’ont pas leur place à la table des décisions, leurs expériences et leurs points de vue ne sont pas pris en compte dans le processus. Cette situation peut entraîner des négligences considérables lors de l’élaboration d’interventions efficaces et durables qui répondent aux besoins de chacun.
En Ouganda, par exemple, le programme de réponse à la COVID-19 de l’AKF intègre plusieurs partenariats avec des organisations locales de femmes, qui représentent et travaillent avec les femmes de leurs communautés. La Fondation leur apporte des fonds afin de les aider à développer et mettre en œuvre des initiatives adaptées à leurs besoins.
Voici quelques suggestions pour que vous aussi puissiez passer à l’action :
Une meilleure « nouvelle réalité » ?
À domicile, sur le lieu de travail ou dans les salles où les lois et les politiques sont élaborées, l’inégalité n’est pas un phénomène nouveau. La COVID-19 nous amène simplement à affronter ces inégalités d’une manière inédite et plus visible.
Bien sûr, il est bon de préciser que les femmes et les filles ne sont pas les seules concernées.
Tous les groupes qui ont été marginalisés par le passé - les femmes et les filles, mais également les communautés racialisées, les personnes handicapées, les travailleurs précaires et les personnes âgées - sont maintenant confrontés à des épreuves et des défis encore plus difficiles alors qu’ils doivent faire face à la pandémie et y survivre.
Dans tous les aspects de notre vie, nous changeons nos habitudes et adoptons de nouvelles façons de faire. Lorsque nous évoquons l’avenir, nous entendons encore et encore des prédictions concernant cette « nouvelle réalité » et ce à quoi elle ressemblera. Voilà pourquoi nous avons aujourd’hui l’occasion d’examiner les structures qui nous entourent et de les faire évoluer dans l’intérêt de tous.
Ce texte est une adaptation d’un article publié sur le site internet de la Fondation Aga Khan Canada. Plus d’informations sur les interventions de lutte contre la pandémie mises en œuvre à travers le monde par la Fondation.